Charles K. Bliss, né le 5 septembre 1897 et décédé le 13 juillet 1985, fut à la fois un ingénieur chimiste et un sémioticien reconnu. Il est surtout célèbre pour avoir inventé les Blissymbols, un système d’écriture idéographique.
Naissance d’une Passion : Le Premier Éveil de Charles K. Bliss envers les Symboles
Originaire de l’Empire austro-hongrois, il émigra en Australie après la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste.
À sa naissance, son nom était Karl Kasiel Blitz. Il était l’aîné de quatre enfants nés de Michel Anchel et Jeanette Blitz, à Chernivtsi, dans l’Empire austro-hongrois (actuellement en Ukraine). Issu d’une famille pauvre, le jeune Charles assuma divers rôles pour subvenir aux besoins de sa famille, tels que celui d’opticien, de mécanicien et de tourneur sur bois.
Bliss expliqua plus tard que les symboles présents sur les schémas électriques élaborés par son père lui parlaient directement, formant pour lui un « langage logique ». Il fut également fasciné par les symboles chimiques, qu’il considérait comme universels et compréhensibles par quiconque, indépendamment de sa langue maternelle.
Une Vie Faite d’Épreuves : L’Inébranlable Détermination de Bliss
Ses débuts furent difficiles. Le froid et la pauvreté accablèrent sa famille, déjà durement éprouvée. En raison de leur identité juive, ils subirent des persécutions antisémites.
À l’âge de huit ans, la Russie perdit la guerre russo-japonaise, ce qui déclencha une intensification des pogroms russes contre les Juifs. Des réfugiés affluèrent dans la ville de Bliss en provenance de la ville russe voisine de Kishinev. En 1905, Bliss assista à un diaporama sur l’expédition austro-hongroise au pôle Nord menée par Weyprecht et Payer. Cet événement l’incita à étudier l’ingénierie en vue d’améliorer la technologie accessible au grand public.
En 1914, Charles K. Bliss s’engagea dans la Première Guerre mondiale, d’abord en tant qu’assistant dans une ambulance de campagne de la Croix-Rouge, puis en tant que soldat. Après la guerre, il poursuivit ses études à l’université et obtint son diplôme d’ingénieur chimiste à l’université de technologie de Vienne en 1922. Il rejoignit ensuite Telefunken, une entreprise allemande spécialisée dans les appareils de télévision et de radio, où il devint responsable du département des brevets.
En mars 1938, le Troisième Reich annexa l’Autriche lors de l’Anschluss. En tant que Juif, Bliss fut interné au camp de concentration de Dachau, puis transféré à Buchenwald. Sa femme, Claire, d’origine allemande et catholique, œuvra sans relâche pour obtenir sa libération. Il fut finalement libéré en 1939, mais dut quitter immédiatement le pays pour l’Angleterre. Face à l’impossibilité de faire venir sa femme en Angleterre en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, il changea son nom de famille en Bliss, en référence aux bombardements allemands surnommés le « blitz ».
Avec détermination, Bliss organisa l’évasion de Claire d’Allemagne par le biais de sa famille en Cernăuți, en Roumanie (aujourd’hui Chernivtsi, en Ukraine). Claire voyagea ensuite vers la Grèce, où elle demeura en sécurité jusqu’à l’invasion italienne en octobre 1940. Le couple se retrouva finalement la veille de Noël 1940, Claire ayant suivi un itinéraire vers l’est jusqu’à Shanghai, tandis que Charles rejoignit l’ouest en passant par le Canada et le Japon.
Après l’occupation de Shanghai par les forces japonaises, Charles Bliss et sa femme furent contraints de résider dans le ghetto de Hongkew. Malgré la possibilité pour Claire, en tant qu’Allemande et chrétienne, de revendiquer sa citoyenneté allemande, de demander le divorce et d’être libérée, elle refusa cette option et choisit de rester aux côtés de Bliss dans le ghetto.
Écriture des Caractères Chinois : l’Inspiration qui a Transformé Charles K. Bliss
À Shanghai, l’intérêt de Bliss se tourne vers les caractères chinois, qu’il interprète à tort comme des idéogrammes. Il se plonge dans leur étude, parvient à lire les enseignes des magasins et les journaux chinois. Un jour, il réalise avec stupéfaction qu’il a déchiffré les symboles non pas en chinois, mais dans sa propre langue maternelle, l’allemand. Inspiré par les idéogrammes, il se lance dans le développement d’un système d’écriture basé sur les images. À ce stade, Bliss n’a pas encore pris connaissance du concept de « Symbolisme universel » de Gottfried Wilhelm Leibniz.
Après la guerre, Bliss et son épouse émigrent en Australie et y arrivent en juillet 1946. Ses idées sémiotiques sont accueillies par un rejet général. N’ayant pas les qualifications requises en Australie ni dans le Commonwealth, Bliss se voit contraint de travailler comme ouvrier pour subvenir aux besoins de sa famille. La nuit, il se consacre au développement de son système de symboles. Avec le temps, Bliss et son épouse obtiennent la citoyenneté australienne.
Transformation de l’Écriture Mondiale à la Sémantographie : La Vision d’Universelle Consolidée de Bliss
Au départ, Bliss nomme son système « World Writing » (écriture mondiale), car l’objectif est de créer une série de symboles compréhensibles universellement, indépendamment de la langue. Cependant, il réalise que ce nom en anglais est trop limitatif et opte finalement pour « Semantography » (sémantographie).
En 1949, à Sydney, Bliss publie l’International Semantography en trois volumes : « A non-alphabetical Symbol Writing readable in all languages » (Une écriture symbolique non alphabétique lisible dans toutes les langues). Les réactions ne sont pas particulièrement positives. Au cours des quatre années qui suivent, Claire Bliss envoie 6 000 lettres à des éducateurs et à des universités, mais sans obtenir de résultats significatifs. Malheureusement, l’épouse de Bliss décède en 1961 après de longues années de mauvaise santé.
Évolution et Concrétisation
En 1965, Bliss publie une seconde édition de son ouvrage, intitulé « Semantography (Blissymbolics) » (Sémantographie – Blissymbolique).
C’est à cette époque que la croissance du tourisme international a convaincu de nombreux individus qu’un langage basé sur des symboles picturaux était le seul moyen de communication compréhensible par tous. Bliss s’assura que sa conception soit liée à son nom, d’où le terme Blissymbolics.
De Satisfaction à Conflit : La Reconnaissance et l’Utilisation Détournée par le Centre de Toronto
En 1971, Charles K. Bliss apprend qu’à partir de 1965, le Centre des enfants handicapés de l’Ontario à Toronto (aujourd’hui Holland Bloorview Kids Rehabilitation Hospital) adopte ses symboles pour enseigner la communication aux enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale.
Initialement enthousiaste, il se rend au Canada. Cependant, il est choqué d’apprendre que le centre a étendu l’utilisation de ses symboles et les utilise comme un moyen d’aider les enfants à apprendre à utiliser des mots parlés et écrits dans une langue traditionnelle, ce qui diverge considérablement de sa vision originale pour les symboles Blissymbolics. Sentant sa vision détournée, il fait pression sur le centre et finit par intenter un procès, allant jusqu’à menacer une infirmière de poursuites judiciaires.
Après une décennie de conflits incessants, le centre et Bliss parviennent à un compromis. Le centre, désireux d’éviter les retombées négatives, cède les droits mondiaux d’utilisation des symboles avec les enfants handicapés à la Blissymbolics Communication Foundation au Canada.
Les Lauriers de la Reconnaissance : Bliss, du Grand Écran aux Honneurs Académiques
En 1974, le parcours et l’impact de Charles Bliss sont mis en lumière dans le film documentaire intitulé « Mr Symbol Man ». Cette œuvre cinématographique remarquable est une coproduction entre Film Australia et l’Office national du film du Canada. Réalisé avec attention, le film explore la vie et les réalisations de Bliss, mettant en avant son rôle en tant qu’inventeur des Blissymbolics et son dévouement exceptionnel envers la communauté, en particulier envers les enfants handicapés.
Le documentaire apporte un éclairage précieux sur l’homme derrière les symboles, tout en soulignant sa capacité à inspirer et à transformer la manière dont la communication est perçue et comprise.
En 1976, pour sa contribution exceptionnelle à la communauté, en particulier auprès des enfants handicapés, Bliss est élevé au rang de Membre de l’Ordre d’Australie (A.M.).
En 1979, le professeur Bob Dixon, alors directeur de l’école de linguistique de l’Australian National University, accorde à Bliss le titre de Membre Honoraire en Linguistique, en reconnaissance de la nature novatrice de son travail.
Conclusion
Le parcours extraordinaire de Charles K. s’inscrit comme un exemple captivant de détermination, d’innovation et de persévérance. À travers les épreuves personnelles et historiques qui ont marqué sa vie, Bliss a trouvé l’inspiration pour créer les Blissymbolics, un système d’écriture visuel qui transcende les barrières linguistiques.
De son premier intérêt pour les symboles à son engagement passionné envers la communication inclusive, chaque étape de son voyage reflète une quête incessante de sens et de compréhension. Au-delà de sa reconnaissance par la communauté et des honneurs qui lui ont été décernés, l’héritage de Charles K. Bliss perdure à travers les Blissymbolics, une réalisation majeure qui continue d’ouvrir des portes à une communication universelle et accessible.